Prêt viager hypothécaire et mobilisation de l'actif résidentiel des personnes âgées
Rapport établi à l'attention du Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et du Ministre de l'Equipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer
Conseil général des Ponts et Chaussées, Inspection générale des Finances, Agence nationale pour l'Information sur le Logement (juillet 2004)
Jacques FRIGGIT, Nicolas JACHIET, Bernard VORMS, Claude TAFFIN
Résumé
Le capital immobilisé par les personnes âgées propriétaires de leur logement représente la plus grande part de leur patrimoine et devrait continuer à croître. Elles peuvent souhaiter en extraire des liquidités pour faire face à des dépenses imprévues (dépendance, réparation du logement) ou simplement améliorer leur train de vie, voire pour consentir des donations à leurs descendants. Or, elles ne disposent pas actuellement d'instruments satisfaisants pour ce faire.
1) Outre quelques dispositifs potentiellement novateurs (achat en viager par les HLM), la mission a étudié l'intérêt éventuel des mécanismes de type " reverse mortgage " (que l'on appellera " prêts viagers hypothécaires ") pratiqués au Royaume-Uni, aux États-Unis et, à un moindre degré, au Canada.
Ils consistent en un prêt remboursable in fine (capital et intérêts) au moment du décès (ou en cas de déménagement), la dette étant plafonnée à la valeur du logement au moment du remboursement.
a) Ils présentent des caractéristiques voisines dans les trois pays étudiés :
- effectif très faible (en 2003, 23000 nouveaux prêts au Royaume-Uni, 18000 aux États-Unis, 1200 au Canada), bien qu'en très forte croissance dans les deux premiers pays cités,
- prêt tiré soit en une fois, soit en plusieurs fois sous forme d'une ligne de crédit, soit sous forme de versements mensuels réguliers pendant une durée fixe ou à vie,
- montant prêté croissant fortement avec l'âge de l'emprunteur (qui est en moyenne de 75 ans)
- clientèle en principe " house rich, cash poor ", mais pas vraiment " sociale ",
- risques financiers spécifiques (dont le risque de " dépassement ", engendré par le plafonnement de la dette) entraînant un taux plus élevé que ceux des prêts hypothécaires " normaux ",
- coût d'origination [1] élevé,
- protection du consommateur généralement développée (notamment par recours à un conseil extérieur) en raison de la lourdeur de l'engagement et de la vulnérabilité potentielle de la clientèle.
b) Ils sont cependant très différenciés sur deux points
- le risque de " dépassement " est
- soit géré librement par des mécanismes de marché [2] (cas du Royaume-Uni, du Canada et de quelques dispositifs américains)
- soit porté par une assurance mise en place et contre-garantie par l'État (cas du dispositif qui couvre plus de 90% du marché aux États-Unis) ;
- parallèlement, le montant maximal prêté varie fortement : une personne âgée de 75 ans et possédant un logement valant 100 000 dollars peut emprunter 30% de la valeur de son logement dans le premier cas, mais 60 % dans le second cas.
c) La mission s'est interrogée sur les causes de l'absence de tels prêts en France.
Elle a identifié certaines explications d'ordre culturel. Notamment, le prêt viager hypothécaire n'est qu'une forme particulière (viagère et remboursable in fine capital et intérêts) des prêts hypothécaires destinés à un autre usage que l'achat (ou éventuellement la rénovation) d'un logement. Or ces prêts, courants dans les pays étudiés, mais rares en France, constituent en quelque sorte un " chaînon manquant " dans notre pays.
2) La mission a identifié certains obstacles juridiques. Si les pouvoirs publics jugent opportun de donner aux agents économiques qui le souhaitent la liberté de pratiquer des prêts viagers hypothécaires, ces obstacles pourraient être levés par des mesures d'ordre législatif et réglementaire, liées notamment à l'hypothèque, au droit de la consommation, à la fiscalité, à l'interaction avec les minima sociaux et à la réglementation bancaire (et par ailleurs nécessaires, pour certaines, si l'État souhaitait encourager l'apparition du " chaînon manquant " que l'on vient d'évoquer).
3) La mission a enfin examiné les enjeux et les modalités possibles d'une intervention éventuelle de l'État en faveur du lancement de ce produit.
La mission est partagée quant à la pertinence d'une implication de l'État dans la couverture du risque de " dépassement " encouru par les prêteurs.
En revanche, elle s'accorde à considérer qu'en rendant possible la pratique de prêts viagers hypothécaires, l'État offrirait aux ménages un degré de liberté supplémentaire souhaitable dans la gestion de leur patrimoine, libre à eux d'en faire usage ou non.
[1] Ensemble des coûts liés à l'émission du prêt
[2] Tels que la titrisation de ce risque
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